Quelques réflexions sur l’assurance des marchandises transportées et son prix.

Le Code des assurances souligne la particularité de l’assurance transport en affirmant son caractère dérogatoire au droit commun de l’assurance. Les assurances dommages terrestres figurent aux titres I et II du livre 1° du Code des assurances, sans être définies par le Code. Seul l’article L111-1 du Code des assurances nous précise que les assurances dommages terrestres sont des assurances qui ne sont ni maritimes, ni fluviales, ni réassurances et ni crédit. Voilà ce qui l’on peut appeler une définition ouverte par la négative. Par contre, le contrat d’assurance transport est défini de manière précise par l’article L171-1 du Code des assurances modifié  par l’Ordonnance n°2011-839 du 15 juillet 2011 de la façon suivante :

« Est régi par le présent titre tout contrat d’assurance qui a pour objet de garantir :

1° Les risques maritimes ;

2° Les risques aériens ou aéronautiques ;

3° Les risques relatifs à la responsabilité civile au titre d’une opération spatiale ;

4° Les risques relatifs au transport de marchandises par voie maritime, aérienne ou terrestre ».

Cette définition est précise et semble devoir impliquer une interprétation restrictive : en cas de doute, c’est de l’assurance ordinaire. Pourtant, ce n’est pas le cas : en matière d’assurance de marchandises, les règles du contrat d’assurance transport sont applicables à tout le voyage[1]. En d’autres termes, l’assurance transport déroge au droit commun de l’assurance.

L’assurance des marchandises transportées se singularise de l’assurance dommage ordinaire : le bien transporté représente souvent un capital très important, dans un cadre international, avec un aléa particulier, le transport. Le prix de la couverture d’assurance de la marchandise transportée est une donnée prise en compte dans l’évaluation du prix d’acheminement d’un bien. L’obligation d’assurer une marchandise est très souvent prévue au contrat de vente ou d’achat : la compétition est importante. En cas de prix trop élevé, un importateur ou un exportateur font peser la charge de l’assurance sur son client et laisser ainsi les assureurs du pays du client assurer le bien.

La notion de prix de l’assurance est une questions très vaste que l’on peut aborder en incluant les polices dommage marchandises, les polices de responsabilité civile des transporteur, le courtage, la réassurance et sans oublier, bien entendu, des polices particulières au transport comme les polices tiers chargeurs. Il a fallu faire un choix pour cerner le sujet : cet article n’abordera que le prix de l’assurance dommage de la marchandise encore appelée assurance faculté.

Comme indiqué plus haute, l’assurance faculté a un caractère dérogatoire qui se retrouve tout au long de la vie du contrat d’assurance transport. On le retrouve d’un part au niveau de la détermination de la valeur de la marchandises et des recours et de l’autre au niveau du prix d’une police.

I –  À risques spécifiques, garanties spécifiques

A/  une valeur assurée propre 

Toutes les polices d’assurance dommage connaissent un système de valeur agréée : le bien à assurer fait l’objet d’une détermination de valeur par accord des parties. Cette valeur agréée est de fondement à l’indemnisation. En assurance de responsabilité, un capital est déterminé qui représente l’engagement maximum des assureurs. Dans les deux cas, l’idée est la même : l’engagement des assureurs est limité au montant déterminé d’un commun accord ou accepté par l’assuré.

En assurance faculté, c’est à dire en assurance de la marchandise transportée, le mécanisme n’est pas le même : la valeur est fondée sur la déclaration de l’assuré. Ce n’est qu’au moment du sinistre que cette valeur doit être justifiée. L’article 12 de la police d’assurance sur facultés maritimes[2] précise :

« La valeur assurée, qui doit être justifiée en cas de sinistre, ne peut excéder la plus élevée

des sommes déterminées comme il est indiqué ci-après :

1° soit par le prix de revient des facultés assurées au lieu de destination, majoré du

profit espéré ;

2° soit par la valeur à destination à la date d’arrivée, telle que déterminée par les cours

usuellement publiés ;

3° soit par les dispositions figurant au contrat de vente ;

4° soit par la valeur de remplacement lorsqu’il s’agit de biens manufacturés, à condition

qu’il soit en outre justifié du remplacement effectif par la production des factures

correspondantes. »

On retrouve une disposition indique à l’article 4 de la police marchandise transportée par voie terrestre[3].

En fait, les assureurs laissent à l’assuré le soin de déterminer la valeur de sa marchandise en fixant des limites qu’il peut choisir. Ce mode de la détermination de la valeur est une adaptation pragmatique à la rapidité du transport, qui interdit toute expertise ou évaluation systématique des marchandises transportées.

Il existe d’autres spécificités financières de l’assurance transport. On peut, par exemple citer, la notion de profit espéré. Lorsque le bénéfice d’une opération de commerce international ne peut pas être justifié par l’assuré, l’indemnisation prendra en compte un profit de  20 %  du prix de revient de la marchandise à destination. L’assurance transport a un caractère indemnitaire, tout en tenant compte des réalités du commerce international[4]. Une autre disposition relative à l’indemnisation des dommages ne se retrouve, elle aussi, qu’en assurance transport : lorsque la marchandise est endommagée pour plus des trois quarts, les assurés peuvent abandonner aux assureurs la propriété de la marchandise contre une indemnisation à 100% de la valeur, c’est ce qu’on appelle le délaissement. La encore, cette disposition est une adaptation des polices faculté à l’activité du transport de marchandises[5].

Est-ce de la naïveté de la part des assureurs qui ne sont pas toujours en mesure de vérifier les déclarations des assurés ? Rappelons que parmi les obligations de l’assuré, figure la bonne foi dans les déclarations comme, par exemple, à l’article 14 de la police sur faculté maritime[6] « … l’assuré doit déclarer exactement, au moment de la conclusion du contrat, toutes les circonstances connues de lui qui sont de nature à faire apprécier par l’assureur les risques qu’il prend en charge. » Les mêmes termes sont employés à l’article 14 de la police faculté aériennes[7], 15 de la police faculté fluviale[8] et 8 de la police faculté transportée par route[9]. Il s’agit d’une adaptation pragmatique à l’activité, car les sanctions prévues aux polices (nullité en cas de déclaration volontairement inexacte, déchéance du droit à l’assurance, règle proportionnelles, … etc) sont des armes à la disposition des assureurs en cas de déclaration sciemment inexacte avec une volonté de tromper.

Mais ce ne sont les seules spécificités des polices transport, il y a en d’autres en particulier matière d’indemnisation des dommages.

B/  des recours facilités

Les polices transport comportent presque toutes la disposition suivante « les droits de l’assuré sont acquis à l’assureur, à concurrence de son paiement et du seul fait de ce paiement »[10]. Cette automaticité de la subrogation est prévue au Code des assurances à l’article L. 172-29, relatif à l’assurance transport, qui précise « L’assureur qui a payé l’indemnité d’assurance acquiert, à concurrence de son paiement, tous les droits de l’assuré nés des dommages qui ont donné lieu à garantie.. ». La police marchandise transportée par voie terrestre se réfère expressément à cette disposition du Code des assurances, les autres polices contenant la mention citée plus haut.

Cette disposition permet aux assureurs d’exercer rapidement les recours, rappelons qu’en transport les prescriptions sont courtes. Dans la plus part des cas, les parties au contrat sont bien identifiées : le transporteur pourra indemniser l’assureur subrogé dans les droits du propriétaire de la marchandise sur le fondement du contrat de transport. Dans ce cas, l’assureur transport avance à son assuré l’indemnisation puis récupère les sommes payées, dans le cadre du recours, à l’encontre du transporteur responsable. Le risque financier pour l’assureur est limité, puisqu’il est assuré d’un recours.

De plus, toutes les polices d’assurance transport comportent une obligation pour l’assuré de conserver le recours, c’est-à-dire de prendre toutes les mesures nécessaires afin que les assureurs puissent entamer leur recours un fois l’assuré indemnisé[11]. La sanction en cas d’inobservation de cette obligation est sévère : l’assuré est déchu de son droit à indemnité. Ce qui souligne, si nécessaire, la place centrale du recours des assureurs dans l’assurance transport.

Dans le cadre d’une vente internationale avec crédit documentaire par exemple, l’assureur sécurise le crédit. Le banquier est certain d’une indemnisation en cas de perte totale ou partielle de la marchandise. L’assureur limite le risque financier en effectuant une avance sur recours. Mais, tous les transports de marchandise ne font pas l’objet d’un crédit documentaire. Ne pourrait-on pas tout à fait légitimement se poser la question de l’utilité d’une telle avance sur recours ? On peut parfaitement imaginer qu’une marchandise de faible valeur ne soit pas assurée.

Il faut ajouter que selon les différentes conditions de vente, l’assurance est supportée soit par l’acheteur, soit par le vendeur. Mais dans tous les cas, l’assurance est un coût qui s’ajoute au prix de vente de la marchandise et au fret, c’est-à-dire au prix du transport. Pour limiter les coûts, on peut  ne pas s’assurer et supporter la perte en cas de survenance d’un sinistre le risque de l’exercice du recours. Il faut faire une calcul : l’absence d’assurance encore appelée auto-assurance diminue-t-elle sensiblement les coûts ? Le prix de l’assurance est-il suffisamment élevé pour permettre, par nécessité économique, une telle prise de risque raisonnable ?

II – la nécessité économique de la couverture

Ce raisonnement n’est que très partiellement valable. Il ne faut, bien entendu, pas avoir d’obligation contractuelle prévoyant la souscription d’une police d’assurance. Mais ce n’est pas tout.

A/ le prix d’un contrat d’assurance transport

Tout d’abord, la force des assureurs réside dans la rapidité de leur indemnisation : 30 jours[12]. Cette rapidité de paiement joue un rôle important dans le succès de la couverture, un recours judiciaire pouvant prendre plusieurs années. Mais ce n’est pas le seul avantage de cette couverture, nous reviendrons plus loin sur ce point.

Nous l’avons vu, la détermination de la valeur à une place centrale, celle-ci est le fondement du calcul de la prime, c’est-à-dire du prix de l’assurance. En effet, la valeur assurée se voit appliquer un taux correspondant à la marchandise, au voyage, au mode de transport, au conditionnement, au type de produit, à la couverture demandée, à la sinistralité de l’assuré … etc. La prime peut être assortie de surprimes dans le cas d’extensions apportées à la garantie de la police (garantie de risques habituellement exclus, prolongation de la durée normale du voyage, etc.). Il n’y a pas un barème de prime de référence, chaque compagnie ayant son mode de calcul. D’où une difficulté certaine pour évoquer le prix de l’assurance transport. Il n’y a pas un prix mais des prix, puisqu’il n’y a pas une garantie uniforme.

On peut toutefois avancer sans se tromper que l’assurance transport de marchandise a un coût faible par rapport aux autres types d’assurance dommage ordinaire. Il est fantaisiste de comparer des couvertures d’assurance différente. Mais, le point commun entre toutes les assurances dommages est la garantie d’un capital assuré. A capital égal et à franchise égale, l’assurance transport est beaucoup moins chère que l’assurance de bâtiments de type risques industriels par exemple. Les pourcentages appliqués à la valeur assurée sont généralement inférieurs à 0,50% et sont même, dans certains cas, inférieurs à 0,10% de la valeur, le tout sans taxe d’assurance celle-ci n’étant pas applicable aux polices transport.

Lorsqu’il y a des voyages plus fréquents, sont généralement mis en place une police flottante pendant la durée d’un marché par exemple ou d’abonnement pour couvrir toutes les expéditions pendant une année. Dans un pareil cas, la donnée utilisée comme référence est plutôt le chiffre d’affaire, la valeur assurée maximale par expédition étant fixée à l’avance entre les parties.

Quelque soit la forme de la police, les primes sont sans commune mesure avec celles pratiquées pour les risques ordinaires, lorsque l’on tient compte des capitaux garantis et de la fréquence des risques. Comme évoqué précédemment, les recours sont affectés à chaque assuré, ce qui influe beaucoup sur l’évaluation du risque et donc sur la prime.

B/ les cas où il faut être assuré

Les assureurs transports soutiennent que l’assurance transport n’est pas limitée aux seules avances sur recours. Il est vrai qu’il y a des risques d’insolvabilité ou des difficultés liées à l’absence de caution au moment de la constatation des dommages ou aux coûts liés à des recours dans des pays lointains, mais ce n’est pas la seule raison d’être de l’assurance transport.

Il ne faut pas limiter l’intervention des assureurs transport à une simple avance sur recours : dans certain cas les recours sont impossibles pour des raisons tenant à la particularité du droit des transports.

Le droit des transports prévoit, dans des circonstances bien particulières, que tout recours contre un transporteur responsable est impossible lors de la survenance d’un cas excepté. On retrouve ces cas excepté dans les conventions maritimes (à l’exception notable mais marginale des Règles de Hambourg) ou dans celle régissant le transport routier européen ou fluvial ou aérien de marchandise. Au plan du droit, ces cas exceptés sont un mécanisme permettant au transporteur de s’exonérer de sa responsabilité lors de la survenance d’un événement énuméré par la convention ou la loi nationale.

Mais ce n’est pas le seul risque financier pesant sur les propriétaires de marchandise. En effet,  on trouve en transport maritime et dans une moindre mesure en transport fluvial, une disposition qui instaure une mutualité entre tous les intérêts du voyage maritime pouvant entraîner des contributions importantes pour les marchandises saines. Ces contributions, au titre de l’avarie commune, sont très souvent sous-estimées par les propriétaires de marchandises qui ignorent leur importance et leur fréquence.

Il n’y a généralement pas de véritable avantage à supprimer le coût de l’assurance et de supporter seul le risque. Pour cela, il faudrait transporter une marchandise de faible valeur et bien connaître tous les intermédiaires de la chaîne transport et leur solvabilité. La comparaison entre le coût de la marchandise et celui du profit de l’acheteur et du vendeur amène à une conclusion : le prix de l’assurance transport n’est qu’un coût marginal.

Pour plus d’information, n’hésitez pas à contracter le cabinet.

Patrick VAN CAUWENBERGHE

Notes :

[1] C’est ce qui explique que le préambule de la police française d’assurance des marchandises transportées par voie maritime ou par voie terrestre nous précise : «Le présent contrat est régi par la loi française et en particulier par les dispositions du Titre VII du Livre 1er du Code des Assurances, qu’elles soient ou non rappelées dans la police. »

[2] Police française d’assurance maritime sur faculté du 01 juillet 2009.

[3] Police française d’assurance des marchandises transportées par voie de terre du 01 juillet 2012 (conditions générales).

[4] Article 23 de la Police française d’assurance maritime sur faculté du 01 juillet 2009, article 23 Police française d’assurance des marchandises transportées par voie aérienne du 01 juillet 2012 (conditions générales), article 24 Police française d’assurance des marchandises transportées par voie fluviale du 01 juillet 2009 (conditions générales).

[5] Article 26 de la Police française d’assurance maritime sur faculté du 01 juillet 2009, article 14 article de la Police française d’assurance des marchandises transportées par voie de terre du 01 juillet 2012 (conditions générales), article  25 Police française d’assurance des marchandises transportées par voie aérienne du 01 juillet 2012 (conditions générales), article 26 Police française d’assurance des marchandises transportées par voie fluviale du 01 juillet 2009 (conditions générales).

[6] Police française d’assurance maritime sur faculté du 01 juillet 2009.

[7] Police française d’assurance des marchandises transportées par voie aérienne du 01 juillet 2012 (conditions générales).

[8] Police française d’assurance des marchandises transportées par voie fluviale du 01 juillet 2009 (conditions générales).

[9] Police française d’assurance des marchandises transportées par voie de terre du 01 juillet 2012 (conditions générales).

[10] Article 31 de la Police française d’assurance maritime sur faculté du 01 juillet 2009, article 30 de la Police française d’assurance des marchandises transportées par voie aérienne du 01 juillet 2012 (conditions générales), article 31 Police française d’assurance des marchandises transportées par voie fluviale du 01 juillet 2009 (conditions générales). La police française d’assurance des marchandises transportées par voie de terre du 01 juillet 2012 (conditions générales) comporte la disposition suivante à son article 19 « l’assureur qui a payé l’indemnité d’assurance est subrogé dans tous les droits et recours de l’assuré contre toutes personnes responsables dans les conditions de l’article L172-29 du Code des assurances ».

[11] Article 17 et 18 de la Police française d’assurance maritime sur faculté du 01 juillet 2009, article 10 article de la Police française d’assurance des marchandises transportées par voie de terre du 01 juillet 2012 (conditions générales), articles 17 et 18 Police française d’assurance des marchandises transportées par voie aérienne du 01 juillet 2012 (conditions générales), articles 18 et 19 Police française d’assurance des marchandises transportées par voie fluviale du 01 juillet 2009 (conditions générales).

[12] Article 27 de la Police française d’assurance maritime sur faculté du 01 juillet 2009, article 15 article de la Police française d’assurance des marchandises transportées par voie de terre du 01 juillet 2012 (conditions générales), article 26 de la Police française d’assurance des marchandises transportées par voie aérienne du 01 juillet 2012 (conditions générales), article 27 de la Police française d’assurance des marchandises transportées par voie fluviale du 01 juillet 2009 (conditions générales).